Quoi de plus actuel en ce Printemps culturel neuchâtelois qu’un carrefour ! Lieu où se croisent plusieurs routes, généralement aménagé en vue d’éviter les risques de collision et d’ouvrir la voie de chacune et chacun à ses horizons de vie. Ou alors aussi, un moment-clé ou une circonstance décisive qui convoque à choisir entre plusieurs destinées possibles.
Tout à l’opposé d’un carrefour impersonnel où l’on s’approche furtivement avant de passer son chemin, le Printemps culturel invite à vivre intensément un renouveau de la rencontre humaine dans les espaces variés de notre République, qui paraît parfois un peu perdue ou déroutée, au cœur de l’Europe.
C’est même un véritable remaillage du canton de Neuchâtel qu’esquisse le magnifique programme printanier, avec ses touches poétiques, qui nous est offert en prenant appui sur l’écho d’un carrefour historique emblématique : Sarajevo.
Cette cité-là, au carrefour de l’Europe et de l’Histoire, sera certes au centre de notre attention ces prochains mois. La trame de fond se jouera pourtant bien au cœur de nos choix ici, de renforcer ou non notre propre communauté de destin, au-delà des clivages et blocages existants. Grâce à l’Association du Printemps culturel, l’Université, les musées, les théâtres, les cinémas, les bibliothèques et des personnes créatives de tout le canton se rassemblent pour réunir leurs forces et moyens, l’espace d’une saison, en donnant espoir et sens au devenir de notre canton. La ville de Neuchâtel se félicite de cette belle initiative qu’elle soutient avec conviction. L’esprit et l’engagement exemplaire qui prévaut parmi les acteurs culturels et artistiques autour de cette opération font de Neuchâtel un vrai carrefour de cohésion interculturelle ancrée en Europe. Rendez-vous à Sarajevo et Neuchâtel !
Aujourd’hui, les images d’archives des Jeux de Sarajevo me font surtout frémir, tant la vie y paraît normale à quelques années du début de la tragédie humaine qui allait se jouer dans ces mêmes lieux (est-ce alors bien rassurant de penser que la vie nous paraît tout aussi « normale » ici et maintenant ?).
Je passe sur mon incompréhension têtue de cette guerre, mon admiration pour Goran Bregovic et Emir Kusturica (et mon refus de savoir où les situer par rapport à ces conflits), la lecture d’Yves Laplace (auteur romand qui a réédité en 2015 une version augmentée de son essai sur la guerre en ex-Yougoslavie), un bref séjour à Zagreb en été 2016 (où j’ai surtout été frappé par un nationalisme renaissant) puis mon arrivée en Bosnie-Herzégovine par un poste-frontière particulièrement peu accueillant du côté de Banja Luka.
Ce que je retiens actuellement d’une fascination remontant à l’enfance pour la « Yougoslavie », c’est un mélange d’images bigarrées, de cultures différentes et proches à la fois, c’est une certaine utopie détruite de gens d’origines, de religions et de cultures diverses vivant dans le même espace, une réconciliation (passée — et peut-être future ?) des quatre points cardinaux dans une seule et même région, un carrefour rêvé et toujours en péril.
Aujourd’hui, tout autour de cette région (et dans cette région même), les pays créés par les aléas de l’histoire tendent à se replier sur leurs prétendues « identités » (le plus souvent des affabulations créées pour mieux se chercher des ennemis à l’extérieur et à l’intérieur de ses frontières — un autre mot souvent rappelé aujourd’hui). En choisissant comme thème « Carrefour Sarajevo », le Printemps culturel nous permet donc non seulement d’appréhender la belle complexité de cette région, mais aussi de nous interroger sur les valeurs que nous souhaitons affirmer et défendre par la culture dans notre pays et sur notre continent.
Une ville bien proche donc, en tous les cas, bien plus proche que supposé. Mais pourquoi semble-t-elle si lointaine, comme si elle se trouvait sur un autre continent?
Vraisemblablement à cause de notre propension à prendre ses distances avec tout ce qui est multiple, complexe, et parfois tragique.
Les Balkans sont tout ça. Des identités, des cultures, des religions, des langues, des sensibilités nombreuses, diverses, qui se côtoient, s’interpénètrent, et qui parfois se sont douloureusement affrontées.
Mais ce sont aussi des terres de création, d’expression, de réflexion, d’ouverture, de passage et donc de partage.
Le Printemps culturel a pour volonté d’offrir un regard pluriel sur le patrimoine historique et culturel d’un pays, d’en faire découvrir les richesses et les potentialités.
Après la découverte des beautés artistiques et culturelles de l’Iran en 2015, ce printemps 2017 fait éclore en terres neuchâteloises la subtilité, la richesse et la profondeur des arts dans les Balkans.
Après le succès remporté en 2015 par sa première édition consacrée à l’Iran et à son histoire millénaire, le Printemps culturel 2017, qui se projette comme une biennale, se propose de faire découvrir au public neuchâtelois et romand le patrimoine culturel d’une région qui, malgré sa proximité relative avec la Suisse, reste mal connue : Sarajevo est un véritable carrefour qui nous emmène dans tous les pays de l’ex-Yougoslavie.
Une région connue sous l’appellation de «Balkans», terme qui renvoie aujourd’hui encore à une mosaïque complexe qui forme cette partie de l’Europe orientale. Un ensemble que nous proposons de considérer dans sa diversité culturelle et sa réalité contemporaine.
Ce thème, proposé par notre association, est mis en valeur et décliné par plus d’une vingtaine d’institutions du canton de Neuchâtel qui ensemble ont concrétisé un riche programme comprenant des expositions, des conférences, des débats, des concerts, des projections de films.
Nous remercions ici tous les acteurs culturels partenaires pour leur enthousiasme, leur engagement et la qualité des projets développés.
Notre reconnaissance s’adresse également aux Villes de La Chaux-de-Fonds et de Neuchâtel, au Service de la cohésion multiculturelle, à la Loterie romande et à la Banque Bonhôte pour leur soutien.
Sarajevo: des syllabes qui éclatent comme des bulles irisées. Un nom si beau qu’il incite à des rêves d’Orient tout comme celui de Samarcande. Carrefour des cultures et des trois grandes religions monothéistes, Sarajevo et les Balkans racontent une histoire compliquée où les périodes de coexistence heureuse sont soudainement déchirées par des conflits violents qui exacerbent des identités souvent enfouies.
L’ère communiste avec son étoile rouge sur les bâtiments officiels avait tenté de créer, dans les Balkans un être nouveau, sans attaches traditionnelles, culturelles et religieuses. La chute du communisme réveille les nationalismes et la Yougoslavie (littéralement pays des Slaves du Sud) sombre dans une guerre fratricide de 1991 à 2001. Ce conflit met fin aux découpages géographiques du président Tito qui dirigea le pays d’une main de fer, de 1953 à 1980. Il existait alors six peuples et six Républiques dont deux étaient officiellement plurinationales: la Bosnie et la Croatie. Jadis Royaume des Serbes, Croates et Slovènes de 1918 à 1941, la Yougoslavie aura duré 73 ans.
Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, est une des villes emblématiques du conflit yougoslave ; de 1992 à 1996, elle est assiégée et bombardée par l’armée serbe. La résistance héroïque de son orchestre symphonique reste gravée dans les mémoires. Réunissant des musiciens bosniaques, serbes et croates, cet ensemble joue, en pleine guerre, en juin 1994, sous la direction de Zubin Mehta (du New York Philharmonic), le Requiem de Mozart dans les ruines de la bibliothèque municipale. L’événement est diffusé dans le monde entier. Vingt ans après le début du siège, le 5 avril 2012, des milliers de spectateurs se rassemblent le long d’un boulevard. Ils viennent assister à un concert qui se déroule devant 11’541 chaises rouges vides, soit le nombre exact des victimes de l’encerclement de Sarajevo.
Les Balkans, cette constellation de divers pays, forment un pont entre Orient et Occident. Ils sont aussi appelés «péninsule balkanique» car ils ont des côtes sur la mer Noire à l’est et la Méditerranée au sud et à l’ouest. Pour Nicolas Bouvier, leur couleur est le bleu, «un bleu nuit un peu sourd» (L’Usage du Monde). Clochers à oignons orthodoxes, monastères byzantins, synagogues de style mauresque, minarets effilés ottomans témoignent de la richesse et de la diversité des cultures de cette région.
Jean Studer, Président – Micheline Centlivres – Pierre Centlivres – Jacques Forster – Simone Forster – Janine Perret-Sgualdo